Terminé ou presque les destinations lointaines pour pêcher des poissons de plusieurs dizaines de kilos. La Seine vous ouvre les bras et avec elle la pêche du silure. Depuis quelques années, il suscite un engouement particulier chez les pêcheurs yvelinois pour plusieurs raisons fascinantes qui en font l'une des espèces les plus recherchées dans les eaux du département.
Le silure représente avant tout un formidable poisson de pêche sportive en raison de sa taille impressionnante, de son poids conséquent ainsi que de sa puissance et de son endurance. Les combats avec ces géants d'eau douce peuvent s'avérer épiques, nécessitant technique, patience et condition physique. Cette dimension sportive attire particulièrement les pêcheurs en quête de sensations fortes et de défis techniques.
L'attrait pour le silure (notre photo Matriks Mat/Silure en Seine) s'explique également par les tailles exceptionnelles que peut atteindre cette espèce. Les études montrent que les tailles maximales des silures sont passées de 1,6 mètre à la fin des années 1980 à 2 mètres en 1993, pour continuer de progresser jusqu'au début des années 2000 et se stabiliser depuis autour de 2,4 mètres. Dans les Yvelines, la Seine et ses affluents offrent un habitat propice à ces géants, avec des spécimens pouvant dépasser les 2 mètres et peser entre 80 et 90 kg.
Ce carnassier se nourrit de poissons, reptiles, amphibiens, crustacés, oiseaux et même mammifères. Cette diversité alimentaire oblige les pêcheurs à adapter constamment leurs techniques et leurs appâts, rendant chaque partie de pêche unique et imprévisible.
Il existe des cas documentés d'attaques de silures sur des nageurs, mais ces incidents restent extrêmement rares et ne sont jamais mortels. Les attaques se produisent uniquement dans des circonstances très spécifiques et ne représentent pas un danger mortel pour l'homme.
Les attaques de silures sur l'homme se produisent exclusivement dans des situations particulières. Il s'agit de personnes qui marchent dans l'eau sur des haut-fonds et qui passent à proximité des frayères, c'est-à-dire les lieux où se trouvent les œufs. Le silure étant très protecteur de sa progéniture, les parents qui gardent les nids attaquent les nageurs aux jambes pour défendre leur territoire.
Un cas concret s'est produit dans le Doubs, à Baverans, où une adolescente a été attaquée par un silure lors d'une baignade. Selon Sébastien François, guide de pêche et spécialiste du silure depuis 20 ans, l'adolescente a simplement « posé le pied au mauvais endroit au mauvais moment ». L'incident s'explique par le fait que lorsque l'eau des rivières atteint les 20°C, les silures entrent en période de fraie (reproduction) et construisent une sorte de nid qu'ils protègent des prédateurs.
La seule période pendant laquelle le carnassier devient agressif correspond à sa période de reproduction, qui intervient généralement au mois de juin lorsque l'eau atteint 20°C. Cette agressivité temporaire est uniquement liée à la protection de leur nid et de leur descendance.
Malgré ces incidents, les spécialistes se veulent rassurants. « Ces attaques sont très rares, et aucune n'a été mortelle », affirme le Dr Gaël Denys, ichtyofaune à l'Office Français de la Biodiversité. Le silure n'est pas considéré comme un poisson dangereux pour l'homme.
En temps normal, le silure est un poisson qui vit en bancs, sédentaire et territorial. Il reste proche de son trou au fond de l'eau et sort plutôt la nuit pour chasser. C'est aussi un animal curieux qui peut s'approcher d'un baigneur ou d'un plongeur par simple curiosité, sans intention agressive.
Les spécialistes rappellent qu'il faut arrêter de propager des légendes urbaines autour du silure, comme celle selon laquelle il pourrait atteindre 5 mètres ou « avaler les petits enfants ou les chiens ». La taille maximale connue se rapproche plutôt des 2 mètres 80, et ces poissons se nourrissent principalement de brèmes ou de poissons morts.
Dans le contexte des Jeux Olympiques de Paris 2024, où des épreuves de natation ont eu lieu dans la Seine, les experts ont confirmé que les silures sont « des poissons impressionnants mais inoffensifs » qui « peuvent avoir des réactions en période de reproduction, pour défendre leur nid. Pour les nageurs, ça peut jouer dans la tête, c'est tout ».
Rarement une espèce piscicole n'a suscité autant de passion et de rejet au sein de la communauté des pêcheurs. Cette polarisation contribue paradoxalement à l'engouement : entre ceux qui le respectent et ceux qui souhaitent sa régulation, le silure ne laisse personne indifférent. Cette controverse alimente les discussions et renforce l'intérêt des pêcheurs pour cette espèce mystérieuse.
L'aspect scientifique du silure intrigue également les pêcheurs yvelinois. Le cannibalisme très développé chez cette espèce, où les grands silures consomment leurs congénères de taille comprise entre 50 et 110 cm, constitue un phénomène naturel fascinant. Cette auto-régulation naturelle ajoute une dimension écologique à la passion des pêcheurs.
Dans les Yvelines, la Seine traverse des zones urbaines et périurbaines, permettant aux pêcheurs de traquer ces géants dans un cadre parfois surprenant, ajoutant une dimension moderne et accessible à cette pêche traditionnelle.
L'engouement pour le silure a créé une véritable communauté de pêcheurs spécialisés dans les Yvelines. Ces passionnés partagent techniques, spots secrets et expériences, créant une dynamique sociale autour de cette pêche particulière. Les réseaux sociaux et forums spécialisés amplifient cet effet communautaire.
Cet engouement s'explique donc par la combinaison unique d'un défi sportif, d'une dimension scientifique fascinante, de tailles record possibles et d'une accessibilité géographique exceptionnelle dans un département riche en cours d'eau et plans d'eau.
La question du silure dans les Yvelines illustre parfaitement les tensions qui divisent la communauté des pêcheurs français autour de cette espèce controversée. Cette division s'explique par des approches radicalement différentes de la pêche et des préoccupations écologiques divergentes.
Les pêcheurs de loisir, particulièrement ceux qui pratiquent la pêche sportive, considèrent le silure comme un trophée de choix. Dans les Yvelines, département avec plus de 1 000 km de cours d'eau et près de 800 hectares d'étangs et plans d'eau, ce géant d'eau douce représente un défi technique exceptionnel.
Ces pêcheurs pratiquent majoritairement le « no kill », une approche moderne qui consiste à capturer le poisson puis à le relâcher dans les meilleures conditions. Comme l'explique Jack Jeannot, président de la Fédération de pêche des Yvelines depuis 1992 : « ça devient de plus en plus tendance, on ne mange plus le poisson comme avant, c'est le plaisir qui compte, et le respect du poisson ».
La pêche au silure s'est également modernisée avec des techniques innovantes comme l'utilisation de float tubes - ces sièges flottants gonflables qui permettent aux pêcheurs de se déplacer discrètement sur l'eau avec des palmes. Cette pratique attire une nouvelle génération de pêcheurs qui partagent leurs exploits sur les réseaux sociaux, contribuant à casser le cliché du petit papy avec son béret.
Le débat dépasse la simple rivalité entre pêcheurs pour toucher aux enjeux de biodiversité. Alors qu'un tiers des poissons d'eau douce français sont des espèces non natives, le silure - introduit en 1968 - continue sa colonisation du territoire, favorisée par le réchauffement climatique qui lui permet de se reproduire plus facilement.
La controverse porte également sur un éventuel classement en espèce nuisible, qui interdirait la remise à l'eau et obligerait à abattre les spécimens capturés. Cette mesure divise même la communauté scientifique, certains estimant qu'il manque encore "des éléments solides" pour justifier une telle décision.
Dans les Yvelines, cette problématique s'inscrit dans l'évolution générale de la pêche décrite par Jacky Jeannot, où « les pratiques ont évolué » avec un développement de la pêche au carnassier et des techniques spécialisées. Le silure cristallise ainsi les tensions entre tradition et modernité, loisir et profession, préservation et régulation dans le monde halieutique yvelinois.